Ces Belgo-Marocains qui quittent la Belgique pour le Maroc
« Je me souviens d’une cousine, il y a quinze ans, qui avait quitté Bruxelles pour s’installer à Casablanca. Personne n’aurait pu imaginer son choix », raconte-t-elle. Le libre Hakima Mommen, Belgo-Marocaine de troisième génération, dont les grands-parents sont venus en Belgique dans les années 1960. « Il y a dix ans, on aurait écouté ce genre d’histoires avec de grands yeux. On l’aurait traitée de ‘folle’, de ‘complètement folle’… Maintenant, on s’y intéresse, on en parle en famille et entre amis, on pose des questions, on demande des nouvelles, insiste Ridouane, haut fonctionnaire belge. Même moi, qui me sens très bien intégré, Belge jusqu’au bout des ongles, j’y ai pensé. Le retour au Maroc, pour nous Belgo-Marocains, est désormais un horizon possible. »
Hakima ajoute : « Aujourd’hui, les mentalités ont évolué, et tout le monde comprend de telles trajectoires de vie. Seule ma grand-mère n’a pas tout de suite compris. Elle qui s’est battue avec mon grand-père pour construire leur vie en Belgique, elle avait l’impression que leurs efforts n’avaient servi à rien. Mais ce n’est pas vrai. Elle le sait désormais et est très fière de mon parcours. » Cette diététicienne, nutritionniste et mentor en développement personnel, professionnel et spirituel s’est installée à Marrakech. « Je connaissais le Maroc grâce à nos vacances en famille que nous passions à Oujda, à l’est. Mais je n’aurais jamais imaginé m’y installer. Quand j’étais jeune, j’avais besoin d’autre chose, de liberté… Vers trente ans, j’ai redécouvert ce pays de mes racines à travers mon travail de nutritionniste, et mon regard a changé. Encore plus pendant l’épidémie de Covid-19. Cette année-là, un voyage à Dubaï m’a fait prendre conscience qu’il existait d’autres horizons que la Belgique. C’est alors que j’ai sauté le pas et que j’ai fini par m’installer à Marrakech. Les possibilités offertes par le télétravail m’ont beaucoup aidée. Désormais, j’accompagne mes patients en ligne, ce qui est très simple, et je propose des retraites à Marrakech.
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Hakima exprime néanmoins sa gratitude envers la Belgique : « Quant à moi, je suis toujours reconnaissant envers la Belgique et ce qu’elle m’a offert depuis 37 ans. Mais je dois avouer que je suis désormais amoureux du Maroc, de son incroyable chaleur humaine et de la liberté qu’il nous accorde. Je me sens libre ici. » « Je suis arrivé au Maroc il y a presque 15 ans. À l’époque, j’étais un pionnier… », confie Merouane Touali, fondateur d’un cabinet de conseil en communication et relations publiques, et président du Cercle des Lauréats de Belgique (association qui regroupe les diplômés belges installés au Maroc). Il quitte la Belgique pour Rabat en 2007 avec l’envie de « donner un nouveau souffle à (sa) carrière » en rejoignant un groupe privé marocain, puis des institutions publiques. « Au sein d’elles, j’ai observé et participé au développement phénoménal du Royaume ces quinze dernières années. » « C’était passionnant », confie-t-il, avant d’expliquer la fuite des compétences belgo-marocaines vers le Maroc.
« Le pays offre beaucoup d’opportunités et est devenu très agréable à vivre », insiste celui qui rencontre régulièrement des Belgo-Marocains qui s’installent désormais à Rabat ou en province pour lancer des activités dans le bâtiment, le tourisme et le numérique. Les infrastructures routières se développent, la fibre optique est connectée, il y a des écoles belges et la santé progresse, notamment via des accords de couverture santé entre la Belgique et le Maroc. Entre l’Europe et l’Afrique, le pays est aussi très bien situé. Tout n’est pas facile bien sûr. Certains reviennent en Belgique car ils ont connu des échecs. Mais je suis certain que ce mouvement de retour au Maroc va se poursuivre et que beaucoup, tout en restant à Bruxelles, développeront des activités au sud de la Méditerranée. »
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Jérémy Mandin, chercheur à l’Université de Liège, évoque une double cause. Il y a d’abord les crises économiques et sociales qui touchent la Belgique et qui y créent un climat pesant. Beaucoup de gens se sentent bloqués là-bas, explique-t-il.
Celui qui a soutenu en 2021 une thèse consacrée à l’arrivée des Belgo-Marocains à Montréal ajoute : « La Belgique n’est plus considérée comme un pays émancipateur pour les jeunes diplômés, notamment pour ceux issus de minorités étrangères qui souffrent encore de discriminations professionnelles. Ils ont l’impression qu’ils vont se heurter toute leur vie à un plafond de verre, que certaines opportunités vont inévitablement leur échapper. »
Mais attention. Leur départ n’est pas seulement une fuite face à un contexte d’austérité ; il est aussi le résultat d’une volonté de rejoindre des régions dynamiques, des villes mondialisées et globales qui offrent de nombreuses opportunités. « Des raisons affectives, religieuses, culturelles et professionnelles, souvent entremêlées, qui n’abolissent pas leur attachement à leur double nationalité, sont aussi à l’origine du retour au Maroc. » « Ce qui est intéressant, souligne néanmoins Jérémy Mandin, c’est que beaucoup de ceux que j’ai interrogés se sont sentis reconnus comme Belges une fois arrivés à l’étranger. » Ridouane confirme : « Oui, ils restent attachés à la Belgique, qui les a vu grandir, mais je suis certain que plus le Maroc se développera, plus ce phénomène de retour va s’amplifier », prédit Ridouane. Rabat le sait et surfe sur son soft power pour l’encourager. Vous savez, même le parcours du Maroc jusqu’en demi-finale du Mondial 2022 a contribué à un tel mouvement.
Cette épopée a généré un grand sentiment de fierté, d’appartenance et d’attrait pour le pays. Elle peut faire dévier une trajectoire de vie. Je pense que la Belgique a intérêt à surveiller ce phénomène. Elle doit prendre conscience que si elle ne veut pas devenir un pôle éducatif d’où l’on repart avec un diplôme, elle doit veiller – en priorité – à ce que chacun se sente respecté et reconnu entre ses murs.