L'histoire très amère d'un jeune franco-marocain
« Moi, Gabriel djihadiste à 16 ans », Rue de Seine éditions). C'est le livre de confession que Gabriel Saidi (pseudonyme), 26 ans, père de deux enfants, a co-écrit avec le journaliste de RTL Thomas Prouteau, dans lequel il raconte une partie de sa vie. Sa rencontre avec Hakim (encore un pseudonyme) bouleverse sa vie. « Au début, il était père de deux camarades de classe. Mon meilleur ami, d'origine tchétchène, le connaissait. Un jour, à la sortie de l'école, il nous a invité à le rejoindre au stade local pour discuter. Il nous parle de religion, de la parole de Dieu, il nous encourage à prier, à respecter nos parents… Il nous encourage à revenir le voir et malheureusement nous y retournons. On le retrouvera alors très régulièrement et, petit à petit, son discours évoluera vers la radicalité. Lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois, nous n'avions que 10 ans”, raconte-t-il. Parisien.
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Hakim a su convaincre Gabriel de rejoindre la Syrie en surfant sur « l'actualité, les troubles en Tunisie puis en Libye ». “Il a été le premier à nous parler de la Syrie, ou plus particulièrement de la terre sacrée du Sham qu'il fallait absolument protéger”, ajoute celui qui est né dans un couple franco-marocain, élevé dans un quartier périphérique d'un grand ville du sud de la France. C'est terrible quand j'y pense aujourd'hui, mais à l'époque, j'étais prêt à perdre la vie pour sauver cette terre au nom de la religion. Il a mangé notre cerveau. Dans l'avion, j'étais triste d'avoir quitté mes parents, mais j'ai séché mes larmes avec un sourire, parce que j'étais heureuse. » En novembre 2013, Gabriel, alors âgé de 16 ans, part en Syrie avec son grand frère et son meilleur ami. L'adolescent est séduit par ce qu'il a vu à son arrivée en Syrie. « C’était comme je m’y attendais : les drapeaux noirs et les bombardements. J'ai du mal à l'admettre, mais j'étais fier. Nous avons reçu une formation militaire et religieuse pour nous maintenir dans cette idéologie. Je n'ai participé à aucun combat, mais j'ai mené des ribat (opérations de surveillance armée). »
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Au bout de sept mois, Gabriel perd ses illusions et décide de quitter la Syrie. « Plusieurs facteurs ont joué un rôle. Quand j'ai été blessé, je me suis retrouvé seul et cela m'a permis de me libérer de l'emprise du groupe. J’ai aussi des camarades qui ont été tués dans les combats entre Jabhat al Nusra et l’État islamique. C'était totalement ridicule de risquer sa vie en combattant des gens qui, dans notre folie de l'époque, étaient censés avoir les mêmes pensées que nous. Enfin, il y a le rôle de mon père que j'avais régulièrement au téléphone. Il savait aussi être malin : il ne s'opposait pas directement à moi mais, par petites touches, sans que je m'en aperçoive, il savait me présenter un autre discours religieux. Et puis il y a l'amour de ma mère. »
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De retour en France, il fait face à la justice. Il sera condamné à 4 ans de prison, dont 1 an avec sursis en première instance et en appel en 2017 et 2018. Après un an de détention, Gabriel rencontre l'infirmière psychiatrique de la prison de Fleury-Mérogis. Cela l'encourage à continuer à écrire son histoire. « Elle a été la première personne à qui j’ai montré ces pages. Elle m'a encouragé à continuer. Cela m’a aidé à comprendre la spirale dans laquelle j’étais pris. » Aujourd’hui, il affirme avoir définitivement tourné le dos à l’idéologie jihadiste. Avec son livre de confessions, il veut « fermer une page » de sa vie. « Pour fermer une page de ma vie. Et aussi de sensibiliser les jeunes qui pourraient être séduits par la propagande jihadiste : on leur vend du rêve, mais ils ne connaîtront que l'enfer. On m'a également demandé de participer à des interventions auprès d'une association qui travaille sur la radicalisation des mineurs. Je suis heureux de partager mon expérience et de participer aux actions de prévention. »
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Son frère et son meilleur ami sont toujours en Syrie. « Je n'ai pas entendu le son de la voix de mon frère depuis que j'ai quitté la Syrie. Je sais qu'il est toujours en vie, qu'il a eu une petite fille. Je me sens coupable parce que c’est moi qui l’ai présenté à Hakim. En ce qui me concerne, j'ai réussi à revenir de toute cette idéologie mais au prix d'un combat très dur alors même que je n'ai passé que sept mois sur place. Mon frère est là depuis dix ans… Sur les trente jeunes qu'Hakim avait renvoyés, seuls trois d'entre nous sont revenus. Certains sont morts. »